Giulia et Alessia étaient deux sœurs âgées de quinze et dix-sept ans. Giulia et Alessia l'étaient, car maintenant malheureusement elles ne le sont plus. Leurs vies, leurs rêves ont été brisés à 6h40 un 31 juillet étouffant et fatigué, à la gare de Riccione, sous les yeux étonnés et les cris désespérés des personnes présentes qui attendaient sur le quai et qui les ont vus mourir submergés par l'arrivée de la Freccia Red de Pescara. Aujourd'hui est le lendemain, celui des histoires, des témoignages recueillis pour reconstituer les dernières heures de la vie de ces adolescents, du patron du bar qui les a vus fatigués et titubants, de cette femme qui a tenté en vain de crier de toutes ses forces sa voix avait dans son corps pour les avertir de l'arrivée du train, de tous ces passagers qui en l'espace d'un instant se sont retrouvés spectateurs, sans faute, de la mort en direct.Aujourd'hui est le surlendemain, le jour où il y a ceux qui s'érigent en juges de la vie des autres, ceux qui dénoncent la légèreté d'un geste aussi banal et en même temps dangereux, comme traverser les voies, ceux qui ils creusent dans la famille, ceux qui jugent leurs parents parce que "oh ma dame comment pouvez-vous envoyer deux filles, un peu plus que des filles, passer toute la nuit seules à Riccione?" sans rien savoir, sans rien savoir d'eux, sauf ces quelques fragments qui resteront indélébiles, dans les yeux étonnés et vitreux des caméras de télévision. Car malheureusement juger est souvent le sport préféré de ceux qui restent, de ceux qui sont sauvés, de ceux qui parviennent à passer leur adolescence indemnes sans une égratignure, de ceux qui survivent, de ceux qui ne savent pas que, parfois, mourir c'est seulement l'enchaînement d'événements nombreux, tragiques et malheureux.

Ah oui, choisir de traverser les voies, de descendre du catwalk, c'est un acte délibéré, ce n'est pas le hasard qui te fait mettre un pied devant l'autre, mais ta tête, c'est ta décision, pas de malchance , pas de karma, mais à quinze ans tu es convaincu que tu es immortel, à quinze ans l'idée de la mort ne te touche même pas, à quinze à 6h40 un dimanche matin, après une nuit passée à Riccione, à t'entendre grandi parmi les grands, tu n'es pas lucide, tu auras peut-être attrapé ta première gueule de bois, que non, tu n'as pas, que "non, mes enfants ne font pas ça" , déjà parce que ce sont toujours les enfants d'autres qui meurent, tout comme commettent des conneries, parce que "de mon temps" certaines choses ne se faisaient pas, parce qu'il faut plus de règles et quelques claques de plus, sans savoir le moins du monde comment ça s'est passé, parce qu'alors, avouons-le , à notre époque, nous n'avions peut-être pas la liberté de passer toute la nuit loin de chez nous, peut-être sur la plage, mais j'ai perdu des dizaines d'amis et de connaissances en cours de route, car dans les années 80, vous ne pouviez peut-être pas rentrer chez vous le matin sans passer indemne des gif.webples de ton père ou de ta mère, mais combien de personnes j'ai vu mourir dans la rue, avec une aiguille dans le bras, ou s'écraser contre un mur après une soirée en discothèque, à cause d'une chute dormir ou boire trop.

Mais ce ne sont pas toujours les enfants des autres qui meurent, les rêves brisés n'appartiennent pas toujours aux têtes brûlées qui "tôt ou tard ont su qu'ils finiraient comme ça" , une vie brisée ne rime pas toujours avec une vie gâchée , et jamais, j'insiste jamais à quinze ans, jamais à dix-sept ans, jamais où les années piétinées sur cette terre resteront indélébiles dans la tête et dans la mémoire de ceux qui les ont tant aimées, que la seule pensée vous coupe le souffle. Mais aujourd'hui est le surlendemain, le jour des conjectures, le jour où tout le monde se sent comme de meilleurs parents, le jour où le soleil levant a le même sourire et la même connaissance qu'hier et qu'avant-hier, parce que nos enfants sont dans leur lit, parce qu'on les voit encore sourire, pleurer ou s'énerver, parce qu'on a été bons, on les a bien éduqués, et au contraire, parfois, on a juste eu de la chance. Parce que j'imagine les parents de Giulia et Alessia, je les imagine le samedi soir, quand, après mille insistances ils se laissèrent convaincre de les envoyer à Riccione "Maman, Papa tous nos amis y vont, on promet qu'on sera bien, on pas besoin de conduire.« Si je ferme les yeux j'entends la voix de la sœur aînée qui prend aussi en charge le désir de vie de la sœur cadette, qui rassure ses parents en disant qu'elle ne la perdra jamais de vue, que ce n'est qu'une nuit , qu'au matin ils prendront le premier train disponible, qu'ils resteront avec le groupe, qu'ils ne feront pas de conneries, de leur faire confiance, car ils sont maintenant grands, et elle sera bientôt majeure.

Ces mots sont comme si je les sentais résonner dans ma tête, et qui sait, peut-être que c'est exactement ce qui s'est passé, qui sait si c'est Giulia qui a pris du retard sur les rails, qui sait lequel des deux a choisi de traverser eux, peut-être pour être plus rapides, peut-être par peur de perdre la course et de ne pas arriver à l'heure comme promis à papa et maman, un moment, une mauvaise décision, et Giulia et Alessia sont parties. Et la seule chose à laquelle je n'arrête pas de penser, c'est à cet appel téléphonique de papa, cet appel téléphonique qui l'a averti que ses filles, ses deux filles, étaient parties.J'imagine ce papa, j'entends ses cris de désespoir, ses pensées, ses sentiments de culpabilité, j'imagine l'agonie des jours à venir, ceux sans la voix de ses petites filles, ceux où chaque jour se réveillera comme un cauchemar, ceux dans lesquels il voudra ne plus rouvrir ces yeux, juste pour continuer à les vivre, au moins dans le rêve. Alors serrons fort ces parents, qu'ils ressentent toute l'affection de ceux qui peuvent encore serrer leurs enfants dans leurs bras. Aujourd'hui n'est pas le jour du jugement. Aujourd'hui est le jour du respect. Pour toutes Giulia et Alessia qui ne sont plus.

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